Après l’entrée en vigueur de nouvelles réglementations, le premier semestre a été mouvementé et 2017 est une année charnière pour un secteur qui doit saisir de nouvelles opportunités. Certains acteurs ont anticipé et exploitent déjà de nouveaux créneaux.

Maurice peut pousser un ouf de soulagement. L’instrument multilatéral de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a été imposé sans provoquer trop de dégâts. Cet instrument juridique est conçu pour éviter l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (ou BEPS) par les entreprises multinationales dans des territoires où ils sont peu ou pas imposés. Malgré les craintes de se retrouver désavantagée, Maurice a signé, le mercredi 5 juillet 2017, la convention multilatérale à Paris, avec toutefois certaines restrictions qui permettent aux opérateurs du secteur de voir venir.

DE NOMBREUX TRAITÉS FISCAUX DEVIENNENT CADUQUES

Ces dernières années, la juridiction mauricienne a dû lutter contre une mauvaise image qu’on voulait lui coller et s’en est toujours bien sortie. Mais pendant tout le mois de juin, un vent de panique a soufflé sur les services financiers. L’instrument multilatéral était pressenti comme une menace. Tout le monde retenait son souffle. Les opérateurs de l’offshore ont effectué un forcing auprès du gouvernement pour que Maurice ne soit pas signataire d’un accord jugé « unilatéral » et préjudiciable. La mesure imposée par l’OCDE rend caduques les traités fiscaux que Maurice a signés avec de nombreux pays et qui représentent la colonne vertébrale des services financiers. Une douche froide… Qui succédait au coup de chaleur provoqué par l’application, quelques mois plus tôt, des règles générales anti-évitement (ou General Anti-Avoidance Rules, GAAR), elles aussi imposées, mais par l’Inde cette fois. La renégociation de l’accord de non-double imposition intervenu entre les autorités mauriciennes et indiennes, en mai 2016, entraîne des changements notables, qui sont entrés en vigueur le 1er avril 2017 et ont des répercussions sur les opérations du secteur du Global Business, mettant fin aux avantages dont jouissait la place financière mauricienne (voir notre encadré à ce sujet).
« Avant, Maurice était un choix évident ; désormais, ce n’est plus forcément le cas », intervient Swaraj Oochit, partenaire chez Nexia Baker & Arenson. Les implications de la signature de l’accord de mai 2016 étaient suffisamment importantes pour pousser les investisseurs étrangers à revoir leur stratégie. « Il y a eu ces dernières années une épée de Damoclès au dessus de nos têtes avec ces renégociations et les pressions par presse interposée. Il y a eu un ralentissement des activités, certains investisseurs se sont tournés vers Singapour », note Sanjeev Hazareesing, responsable du Global Business à la Mauritius Commercial Bank (MCB). De son côté, la convention multilatérale couvrira, dans un premier temps, 23 traités (voir notre encadré). Les autres, dont celui avec l’Inde, feront l’objet de discussions bilatérales afin qu’ils soient en conformité avec les standards minimums développés dans le cadre du projet BEPS, au plus tard vers la fin de 2018. Les opérateurs sont rassurés de ce qui n’est finalement qu’un répit. « On aurait pu demander un délai, comme la Norvège ou la Suisse qui a exclu pas moins de 92 pays, regrette Swaraj Oochit. On aurait pu prendre plus de temps. Il faudra donc continuer à négocier. »

Swaraj Oochit, partenaire chez Nexia Baker & Arenson : « Avant, Maurice était un choix évident ; désormais, ce n’est plus forcément le cas. »
Swaraj Oochit, partenaire chez Nexia Baker & Arenson : « Avant, Maurice était un choix évident ; désormais, ce n’est plus forcément le cas. »  Davidsen Arnachellum

TRANSPARENCE ET SUBSTANCE SONT LES MAÎTRES-MOTS

Entre-temps, pour Kamal Hawabhay, président de l’Association of Trust and Management Companies (ATMC), « cela maintient notre stratégie africaine, nous pouvons continuer à attirer les investissements vers l’Afrique, notamment en provenance d’Asie. Cette décision va nous mettre aussi dans l’obligation d’effectuer une montée en gamme de nos services». À ses débuts, le centre financier mauricien s’est appuyé sur les traités de non-double imposition fiscale et il offrait un minimum de substance, « sinon, on aurait difficilement pu exister », fait ressortir le président de l’ATMC. Aujourd’hui, les choses ont changé. Transparence et substance sont les maîtres-mots. « Nous accueillons favorablement ce désir de plus de transparence et nous soutenons la démarche qui consiste à placer Maurice dans le haut du classement des centres financiers internationaux », affirme Bertrand Casteres, CEO de Mauritius Union, un ténor des assurances, segment de marché qui pourrait profiter des nouvelles opportunités. Car si le secteur financier oscille aujourd’hui entre optimisme prudent et pessimisme modéré, une chose est sûre : un vent de changement souffle sur l’offshore.
« Les banques qui font 90% de leur business avec l’Inde vont être affectées et ceux qui ont tout misé sur les traités le seront aussi. Mais le centre financier mauricien dépendait trop des préférences », intervient un banquier international. Pour lui, les activités qui se développent en Afrique ne vont pas compenser le volume d’affaires qui existe avec l’Inde. « Mais nous restons tout de même compétitifs et puis, les changements interviennent aussi dans les autres juridictions », indique-t-il. Maurice reste une destination stable, bilingue, attractive et les investissements ne vont pas s’arrêter. « Et au moins, aujourd’hui, les choses sont claires avec l’Inde », ajoute Sanjeev Hazareesing.

 

Kamal Hawabhay, président de l’Association of Trust and Management Companies (ATMC) : « Nous pouvons continuer à attirer les investissements vers l’Afrique, notamment en provenance d’Asie. Mais nous sommes dans l’obligation d’effectuer une montée en gamme de nos services. »
Kamal Hawabhay, président de l’Association of Trust and Management Companies (ATMC) : « Nous pouvons continuer à attirer les investissements vers l’Afrique, notamment en provenance d’Asie. Mais nous sommes dans l’obligation d’effectuer une montée en gamme de nos services. »   Davidsen Arnachellum

LUTTE CONTRE L’ÉVASION FISCALE

Le centre financier mauricien doit mettre en place des mesures d’adaptation appropriées. La Financial Services Promotion Agency -bientôt absorbée dans la fusion avec le Board of Investment, Enterprise Mauritius et le Mauritius Africa Fund pour devenir le Economic Development Board – estime d’ailleurs que « depuis les années 70, Maurice a toujours su adapter son modèle économique de façon à créer un environnement propice aux investisseurs ». Selon l’agence, la signature de la convention multilatérale vient renforcer la coopération entre Maurice et la communauté internationale, en vue de lutter contre l’évasion fiscale. « La bonne image de Maurice est intacte et, avec l’Inde, le pays conserve son statut privilégié (ou « most favored country »). Il y a désormais plus de contraintes, certes, mais si nous souhaitons être un centre financier de substance, c’est le passage obligé », affirme pour sa part Kabir Ruhee, CEO de Rogers Capital. Ainsi, l’avantage fiscal ne contribue plus à la valeur ajoutée du centre financier mauricien. C’est pour cette raison que Rogers Capital a élargi ses offres en gestion de fonds, externalisation, services actuariels, etc. Bref, les opérateurs doivent offrir « plus de substance ». C’est aussi le credo des autorités régulatrices. Maurice doit ainsi franchir le pas pour passer d’un statut de « juridiction centrée sur les traités à celui d’un centre offrant des services sophistiqués», comme le préconise la FSPA.

 

Kabir Ruhee, CEO de Rogers Capital : « La bonne image de Maurice est intacte et, avec l’Inde, le pays conserve son statut privilégié (ou « most favored country »). Il y a désormais plus de contraintes, certes, mais si nous souhaitons être un centre financier de substance, c’est le passage obligé. »
Kabir Ruhee, CEO de Rogers Capital : « La bonne image de Maurice est intacte et, avec l’Inde, le pays conserve son statut privilégié (ou « most favored country »). Il y a désormais plus de contraintes, certes, mais si nous souhaitons être un centre financier de substance, c’est le passage obligé. »  Davidsen Arnachellum

LES « MANAGEMENT COMPANIES » VONT SOUFFRIR

Il y a un changement de paradigme qui s’opère : investisseurs, compagnies offshore, tout le monde doit aujourd’hui l’accepter. Les « Management Companies » (qui gèrent les sociétés enregistrées dans l’offshore) vont souffrir, on peut prévoir des fusions et des liquidations. Dans le passé, les banques offshore avaient déjà connu des bouleversements et le secteur bancaire avait su s’adapter. « Nous devons nous réinventer », propose Swaraj Ochit. La FSPA préconise « l’introduction de segments à valeur ajoutée dans l’écosystème financier pour accroître la compétitivité du centre financier et attirer plus d’investissements transfrontaliers ». L’organisme de promotion cite l’un des derniers exemples en date : un nouveau permis est désormais disponible pour les banques d’investissement. « Nous avons développé un savoir-faire pour lequel nous sommes respectés et nous devons continuer a démontrer que nous sommes le bon élève », intervient Kabir Ruhee. Conseil juridique et fiscal, gestion de fonds, de patrimoine ou de trésorerie, notamment pour les millionnaires africains dont le nombre va croissant : il faut faire valoir les compétences. « Nous voulons des clients qui soient vraiment présents et n’utilisent pas Maurice seulement comme une boîte aux lettres mais pour les compétences locales », intervient Sanjeev Hazareesing.
Un axe de croissance s’impose : l’Afrique où il y a une clientèle énorme qui est en train d’émerger, pas forcément à la mesure de celle qui a fait les beaux jours de Maurice en Inde, mais avec de nouveaux besoins. Et les pays du continent s’intéressent eux aussi à Maurice, une référence en matière de stabilité et d’expertise. « À la MCB, nous voulons attirer le business inter-africain (…) et aujourd’hui les flux peuvent changer et ne plus forcément aller dans le sens Asie-Afrique, mais aussi dans le sens Afrique-Asie », affirme Sanjeev Hazareesing. Avec 15 accords de non-double imposition avec des pays africains (dont 9 ne sont pas encore concernés par l’instrument multilatéral), Maurice se positionne comme une plateforme idéale, notamment pour les deux géants asiatiques, Inde et Chine. Celle-ci a d’ailleurs identifié Maurice comme un « Renminbi Trading Hub » pour le continent africain. Prochaine étape : la négociation avec l’OCDE concernant la liste des traités car, qu’on le veuille ou non, une grande partie du centre financier mauricien en dépend encore – avec des centaines, voire des milliers d’emplois en jeu.

 

Irshad Mallam-Hassam, partenaire chez Nexia Baker & Arenson : « Pour croître, le centre financier mauricien a besoin de plus de juristes, d’experts-comptables, de gestionnaires de fonds qui aient une vraie expertise à l’international. »
Irshad Mallam-Hassam, partenaire chez Nexia Baker & Arenson : « Pour croître, le centre financier mauricien a besoin de plus de juristes, d’experts-comptables, de gestionnaires de fonds qui aient une vraie expertise à l’international. »  Davidsen Arnachellum

UN NOUVEL ÉCOSYSTÈME À METTRE EN PLACE

Le parcours ne sera pas de tout repos. « Le nouvel écosystème n’est pas encore en place, note Irshad Mallam-Hassam, partenaire chez Nexia Baker & Arenson. Pour croître, le centre financier mauricien a besoin de plus de juristes, d’experts-comptables, de gestionnaires de fonds qui aient une vraie expertise à l’international. » Aujourd’hui, si le centre financier veut progresser, il doit être plus compétitif et ne plus compter sur un traitement préférentiel… Les opérateurs sont conscients qu’ils doivent être en adéquation avec le nouveau mode opérationnel, indissociable des technologies de la communication. « Il y a déjà une croissance dans les activités en Afrique et nous voulons accélérer le processus. Mais nous voulons aussi diversifier et nous lançons, d’ici à fin 2017, deux nouvelles offres pour les services à distance », intervient Kabir Ruhee, conscient de l’enjeu. En effet, la compétitivité passe immanquablement par le saut technologique. Le régulateur des services financiers a d’ailleurs annoncé son intention de faciliter l’émergence d’un secteur FinTech de façon à positionner Maurice comme un hub des technologies financières en Afrique, avec de nouvelles réglementations à la clé. Mais, comme le concède Vidya Mooneegan, directeur exécutif de Ceridian Maurice, géant international en gestion des ressources humaines, il y a encore beaucoup de « blocages ». Un exemple : la technologie Blockchain peine à s’installer. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée et fonctionnant sans aucune institution centrale de contrôle, commence à susciter l’intérêt des entrepreneurs locaux et à attirer des géants étrangers. ConsenSys, spécialiste américain dans le domaine, a été séduit par les facilités à Maurice et le climat des affaires. Mais l’absence de cadre légal approprié retarde son entrée. « Et puis les banques ont tendance à penser que les sociétés FinTech vont leur prendre de la clientèle », note Vidya Mooneegan. Pourtant, Maurice doit impérativement surfer sur la vague du changement. « Puisque le centre financier mauricien jouit quand même d’une bonne réputation et dispose d’une large clientèle, pour les firmes de gestion, l’idéal serait de s’associer à des sociétés FinTech pour offrir une plus grande valeur ajoutée », plaide le directeur exécutif de Ceridian.
Les opérateurs du centre financier mauricien, banques et sociétés de gestion en tête, ont crié au loup lorsque l’OCDE et les GAAR se sont introduits dans la bergerie. Mais ils ne voient pas encore que les dragons du digital, Google et Facebook en tête, sont déjà dans la place. Et que le centre financier mauricien a entamé sa mue…

 

Vidya Mooneegan, directeur exécutif de Ceridian Maurice : « Puisque le centre financier mauricien jouit quand même d’une bonne réputation et dispose d’une large clientèle, pour les firmes de gestion, l’idéal serait de s’associer à des sociétés FinTech pour offrir une plus grande valeur ajoutée. »
Vidya Mooneegan, directeur exécutif de Ceridian Maurice : « Puisque le centre financier mauricien jouit quand même d’une bonne réputation et dispose d’une large clientèle, pour les firmes de gestion, l’idéal serait de s’associer à des sociétés FinTech pour offrir une plus grande valeur ajoutée. »  Davidsen Arnachellum
L’OCDE CIBLE 23 ACCORDS
Une liste de 23 accords de non-double imposition, sur les 42 signés par Maurice avec d’autres pays, a été dressée pour être soumise aux nouvelles conditions fiscales de l’OCDE. Le document (intitulé « Status of List of Reservations and Notifications at the Time of Signature ») soumis par Maurice à l’OCDE indique que les accords conclus avec les pays suivants seront couverts par la convention multilatérale : Afrique du Sud, Allemagne, Barbade, Belgique, République du Congo, Croatie, Chypre, Émirats Arabes Unis, France, Grande-Bretagne, Guernesey, Italie, Koweït, Lesotho, Luxembourg, Madagascar, Malte, Monaco, Oman, Qatar, Seychelles, Suède et Swaziland.
LES CHANGEMENTS DANS LE DTA MAURICE-INDE
Selon les changements apportés au traité avec l’Inde (ou Double-Taxation Agreement, DTA), les plus-values enregistrées sur les inves-tissements réalisés durant la période 1er avril 2017-mars 2019, dans des sociétés en Inde, sont imposées à 50% du taux applicable, soit à 7,5%. Les entreprises qui investissent en Inde doivent démontrer qu’elles ne recherchent pas une fiscalité réduite et que leurs dépenses à Maurice sont d’au moins 1,5 million de roupies (environ 37 500 euros). Le traité amendé fait provision pour que le taux d’imposition normal (15%) soit applicable sur les plus-values réalisées à partir d’avril 2019. L’impôt sur les gains en capital n’est pas prélevé sur les plus-values enregistrées dans le cas des investissements réalisés avant le 1er avril 2017. Les intérêts perçus par les banques mauriciennes seront imposables à la source, au taux de 7,5% (et non à 15% comme c’est le cas actuellement). Ce taux est plus favorable que ceux accordés à d’autres places financières comme Chypre et Singapour.
L’AFRICAN STRATEGY DE MAURICE
L’Afrique devient un pôle d’attraction  pour les investissements étrangers transfrontaliers. En 2014, ils représentaient 54 milliards de dollars, dont 36% sont passés par Maurice, soit un montant de 19,4 milliards de dollars. Maurice a développé de très bonnes relations bilatérales avec de nombreux pays africains et elle est un membre influent des organisations régionales comme l’Union Africaine, la SADC, le COMESA et la COI. L’existence de 23 accords d’investissements (Investment Pro-motion and Protection Agreements, IPPA) et de 14 DTA permet au centre financier mauricien de se positionner résolument comme la pla-teforme d’investissement idéale en Afrique.
Source – l’EcoAustral