Source – EcoAustral
Cas unique sur le continent africian, Maurice a achevé sa transition démogaphique et voit sa population veillir rapidement. Une véritable bombe à retardement pour le financement des retraites et de la santé, mais aussi des opportunités à saisir avec la « silver » économie.

« En raison du progrès de la médecine et d’un meilleur niveau de vie, les Mauriciens vivent plus longtemps, l’espérance de vie est aujourd’hui de 71,3 ans pour les hommes et de 77,9 ans pour les femmes (en France, elle est de 79,4 ans pour les hommes et de 85,4 ans pour les femmes – Ndlr). Quant au taux de natalité, il est de 1,43 enfant par femme, soit en dessous du seuil de renouvellement de population (2,05). Cela aura clairement des conséquences pour notre économie. » Éric Ng, l’économiste monétariste de « l’école autrichienne », met comme d’habitude les pieds dans le plat dans sa rubrique hebdomadaire du journal « Défi ». De fait, selon les Nations Unies, 30% des Mauriciens auront plus de 65 ans en 2050. Et la population mauricienne devrait connaître un recul dès 2030… En résumé, Port-Louis fait face, comme le souligne la Chambre de commerce et d’industrie (MCCI), à une « bombe à retardement ». Encore une fois, l’île, qui a achevé sa transition démographique, se distingue nettement des autres États africains et va connaître les problématiques que connaissent la plupart des nations occidentales.

« VIEILLIR EN BONNE SANTÉ »

La question du vieillissement de la population mauricienne et surtout de son accueil commence timidement à émerger. Pour répondre à cette mutation de la société, nous assisterons au développement du secteur des services pour personnes âgées : produits de la vie courante, mise à niveau de certains bus et surtout offre médicale spécialement dédiée…
Mais de l’avis de nombreux experts, « vieillir en bonne santé » passe surtout par le maintien de relations sociales dans un environnement serein. Aussi, certaines entreprises commencent à se lancer dans l’hébergement de cette nouvelle clientèle. C’est le cas du promoteur et gestionnaire de la première résidence sénior médicalisée privée de Maurice, Senior Homes. Il propose, depuis 2014, son projet résidentiel destiné aux séniors plus ou moins autonomes : « Les Jardins de Chantenay ». Situé au cœur de Moka, ce projet comprend 72 appartements, du studio aux appartements de deux chambres. Il propose également huit chambres médicalisées. Ce projet a été conçu pour ceux qui souhaitent profiter de leur fin de retraite en vivant dans un cadre sécurisé, à proximité de soins médicaux et de services adaptés.
Les appartements sont en vente à partir de cinq millions de roupies (125 000 euros) ou en location à court, moyen et long termes. Ils sont accessibles également aux retraités étrangers depuis la réforme du statut de « Retired Non-citizen » (voir notre encadré à ce sujet). Preuve du succès de son produit, après trois années d’opération, Senior Homes a d’autres projets de résidences similaires.

Maurice a achevé sa transition démographique au contraire de sa voisine réunionnaise. Elle connaît désormais un vieillissement (rapide) de sa population. Se pose alors la question de l’accueil et de la prise en charge de ces séniors.
Maurice a achevé sa transition démographique au contraire de sa voisine réunionnaise. Elle connaît désormais un vieillissement (rapide) de sa population. Se pose alors la question de l’accueil et de la prise en charge de ces séniors.   DR

L’ARRIVÉE DU LEADER FRANÇAIS DOMITYS

Autre projet, celui proposé par l’entrepreneur français Gilles-Guy de Salins et baptisé Sereni-cité. « Initié il y a quinze ans maintenant, il s’agit de créer un village sénior dédié aux personnes fragilisées mais toujours valides ». Un centre « 3ème âge » proposant une approche multidisciplinaire, en particulier de la maladie d’Alzheimer en retardant ses symptômes les plus fragilisants. Pour cela, le projet immobilier comprendra cinq ateliers cognitifs et cinq ateliers physiques, alliés à un programme diététique exclusif pour « prolonger la vie sociétale normale du malade de plusieurs années, au bénéfice de ses proches. Quelque part, notre projet est le chaînon manquant entre les étapes d’avant maladie et la prise en charge terminale ». Encore à l’étape de projet, Gilles-Guy de Salins précise que les modalités de financement de la construction du village se feront, pour rassurer les clients, via la VEFA (Vente en l’état futur d’achèvement).
Preuve que ce secteur attire, le leader français des résidences services seniors (RSS) dédiées aux personnes âgées non dépendantes, Domitys, annonce l’ouverture, en avril 2018, d’un projet immobilier à Grand-Baie. « Entre une maison de retraite et un domicile inadapté aux fragilités peu à peu provoquées par l’âge, les alternatives n’existent pas à Maurice », explique Domitys. Cette résidence est la première implantation mauricienne du promoteur français qui veut profiter du savoir-faire hôtelier local, réputé à l’international, et du rayonnement de la destination. Associé à un programme résidentiel pour les Mauriciens, le projet de Grand Baie vise une clientèle locale et régionale et en particulier celle des touristes âgés. Il est ouvert aux personnes qui souhaitent s’installer à l’année à Maurice ainsi qu’à ceux qui préfèrent venir sur l’île pour un séjour plus court d’une semaine ou de plusieurs mois. Il est, par ailleurs, possible d’acheter l’un des appartements. Et dans le cadre de la signature d’un bail avec Domitys, qui devient le seul locataire et qui se charge de tout, sans aucun frais, il est alors possible de percevoir des loyers garantis, que le logement soit occupé ou non, avec un bail de 11 ans. Domitys se charge de sous-louer le logement à des seniors désireux de passer leur retraite sur l’île.

Domitys, le leader français des résidences services séniors, s’implante à Maurice où « il n’existe pas encore d’alternative entre une maison de retraite et un domicile inadapté aux fragilités peu à peu provoquées par l’âge ».
Domitys, le leader français des résidences services séniors, s’implante à Maurice où « il n’existe pas encore d’alternative entre une maison de retraite et un domicile inadapté aux fragilités peu à peu provoquées par l’âge ».  DR

LE (DOUX) RÊVE DE FAIRE VENIR 200 000 RETRAITÉS ÉTRANGERS

Misant sur le dynamisme du secteur de la « silver » économie (ou économie des séniors), la Chambre de commerce et d’industrie (MCCI) propose d’accueillir pas moins 200 000 retraités étrangers d’ici 2020. Pour cela, elle mise sur la stabilité de Maurice, son bilinguisme, la maturité de son secteur hôtelier et sur le fait que des offres visant les retraités commencent à émerger. « On estime qu’un million de retraités anglais sont dans l’expectative suite au Brexit (…) Faire venir 200 000 retraités, cela représenterait une injection de 65 milliards de roupies (1,65 milliard d’euros – Ndlr) dans notre économie », se réjouit Renganaden Padayachy, économiste à la MCCI. Aussi, la Chambre réclame un amendement du « Resident Scheme for Retired Individuel » afin que les retraités étrangers ayant une pension mensuelle d’un minimum de 1 500 dollars (1 200 euros) et de 2 000 dollars (1 685 euros) pour un couple puissent venir vivre au moins six mois dans l’île. « Cette mesure aurait un effet d’entraînement sur tous les secteurs de l’économie. L’augmentation de la consommation va stimuler l’offre, accroître les investissements et revitaliser tous les secteurs d’activité », s’enthousiasme Renganaden Padayachy. On peut néanmoins se montrer sceptique en constatant que jusqu’à maintenant, le BOI (Board of Investment) n’a délivré que 594 visas « retraités ». On sait aussi que le Portugal, qui se taille un joli succès auprès des retraités français (en leur offrant notamment une exemption fiscale de dix ans), n’accueille actuellement « que » 30 000 Français. Dans ce domaine, comme dans l’immobilier de luxe, la concurrence internationale fait rage. Et le Portugal, qu’on appelle la « Floride de l’Europe », a l’avantage de la proximité avec l’Hexagone quand Maurice se situe à 10 000 kilomètres. Dans ce contexte, certains, comme l’entrepreneur Chrystel de Bricourt, s’interrogent sur le modèle choisi qui vise les hauts revenus locaux et mauriciens et exclut parallèlement la majorité des retraités mauriciens. « Je ne crois pas beaucoup au rêve de faire venir énormément de retraités à Maurice, en particulier des Français. Pour deux raisons, la première : l’éloignement géographique de l’Hexagone – loin de leurs petits-enfants – et deuxièmement, l’offre médicale locale dédiée à cette population n’est pas encore assez développée pour la rassurer et donc l’attirer. Il me paraît difficile d’imaginer des séjours supérieurs à trois mois. » D’ailleurs, des étrangers qui résident à Maurice moins de trois mois, cela existe déjà et cela s’appelle des touristes…

« La question de la pérennité de notre système de retraites est posée. De 4,6 actifs (âgés de 15 à 59 ans) pour un retraité (60 ans et plus) en 2014, nous passerons à 1,6 en 2054. »
« La question de la pérennité de notre système de retraites est posée. De 4,6 actifs (âgés de 15 à 59 ans) pour un retraité (60 ans et plus) en 2014, nous passerons à 1,6 en 2054. »  Davidsen Arnachellum

BIEN VIEILLIR CHEZ SOI

A contrario des modèles de résidences spécialisées et dédiées aux personnes agées plus ou moins dépendantes, Chrystel de Bricourt veut s’appuyer sur son expérience vécue à Mayotte pour développer des services à domicile. Elle a créé, en 2013, avec Mirhane Abdallah, un infirmier mahorais, Dagoni Services. Cette société est spécialisée dans les services à la personne à domicile (course, aide au ménage, toilette). « Tout cela concourt à la prévention de la perte d’autonomie en maintenant le lien social. Et surtout, cela crée de nouvelles filières économiques. Cela a été rendu possible à Mayotte suite à la loi française dite « adaptation de la société au vieillissement » (APV) entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Elle est fondamentale car elle prévoit le renforcement et l’amélioration de l’accompagnement à domicile, la prévention de la perte d’autonomie, la transparence et surtout la lisibilité des tarifs pratiqués en établissement d’hébergement pour personnes âgées. En résumé, l’État français, avec cette loi, donne la priorité à l’accompagnement à domicile afin que les personnes âgées puissent vieillir chez elles dans de bonnes conditions. Elle permet tout à la fois de soulager l’hôpital public et les finances de l’État, de créer de nouveaux emplois (en luttant contre le travail au noir) et de retisser des liens sociaux. « Maurice pourrait s’inspirer de l’expérience mahoraise pour répondre à son défi démographique et développer sa propre silver économie », assure, emballée, Chrystel de Bricourt, qui confesse avoir été approchée par certains groupes mauriciens intéressés par sa démarche.

Le projet Sereni-cité imaginé par Gilles-Guy de Salins propose des villas au sien d’un village sénior dédié aux personnes fragilisées mais toujours valides.
Le projet Sereni-cité imaginé par Gilles-Guy de Salins propose des villas au sien d’un village sénior dédié aux personnes fragilisées mais toujours valides.  DR

LA QUESTION DES VISAS « RETRAITÉS »

Les critères d’éligibilité établis par le Board of Investment (BOI) – l’organisme chargé de la promotion et de l’encadrement des investissements – pour un visa dit « retraité » sont clairs. Le demandeur doit être un étranger âgé de 50 ans ou plus. Il doit effectuer un transfert initial de 30 000 dollars (25 085 euros ou son équivalent en devises convertibles) vers un compte ouvert dans une banque locale. Il doit justifier de ce revenu annuel d’au moins 30 000 dollars à Maurice. Grâce à ce « Retired Non-citizen », il peut acheter un appartement d’au moins deux étages en guise de résidence personnelle après avoir effectué un premier transfert de 120 000 dollars (101 150 euros) au moment de sa demande. Le statut ayant été amendé, il peut aussi acquérir un logement dans une maisons de retraite, un « retirement village » ou dans tout projet similaire ne se trouvant pas dans une « Smart City ». « Il faut savoir que le visa retraité n’est valable que trois ans. Et qu’à échéance, il faut refaire une demande et reprendre la procédure », précise une retraitée française qui, ayant subi les lenteurs de l’administration locale, préfère rester anonyme… Rappelons que pour être résident fiscal à Maurice, il faut y séjourner un minimum de 183 jours par année civile.

Renganaden Padayachy, économiste à la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice : « Faire venir 200 000 retraités, cela représenterait une injection de 65 milliards de roupies (1,65 milliards d'euros - Ndlr) dans notre économie. »
Renganaden Padayachy, économiste à la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice : « Faire venir 200 000 retraités, cela représenterait une injection de 65 milliards de roupies (1,65 milliards d’euros – Ndlr) dans notre économie. »  Davidsen Arnachellum